Solaris
Andreï Tarkovski
Russie, 1972
2h24
La plupart connaissent surement Solaris dans sa version américaine sorti en 2002 avec Georges Clooney réalisée par Steven Soderbergh qu’on trouve facielement à prix très économiques, à l’inverse de la version de Tarkovski sortie chez Mk2 (éditeur qui propose de bons films souvent rares) qui a réédité les films de Tarkovski difficilement trouvables et à prix collector.
D’une version à l’autre autant dire qu’un film change, et les remakes de grands films ne sont pas toujours des plus réussis. En fait vu l’évolution de la société et les aspirations et l’horizon de chaque nouvelle génération, certains films leur deviennent hermétiques, et les nouvelles adaptations sont ainsi adaptées à ce nouveau public tout en usant de la notoriété de son ancêtre. En version désastreuse, il y a déjà la ridicule adaptation de La Mouche qu’avait fait David Cronenberg en 1986 de l’excellent film de 1958, en changeant le scenario lourdement et en éludant la réflexion scientifique. En autre exemple, on a aussi le remake raté du Psychose de Hitchcock. Toutefois, certains films méritent parfois d’être refait, c’est le cas de la nouvelle de Stefan Zweig Lettre d’une inconnue, une première fois adaptée par Max Ophuls en 1948, avec un remake bien plus réussi par Jacques Derray en 2003 dont l'adaptation est bien plus fidèle au roman déjà et surtout en faisant bien ressortir l’atmosphère initiale.
La version de Solaris réalisée par Andreï Tarkovski en 1972 est pourtant bien plus intéressante et n’avait aucunement besoin d’un successeur. Solaris est à la base l’adaptation du roman polonais de Stanislas Lem (1961), écrivain de science fiction. Certains fans du roman sont assez critiques vis-à-vis de ces deux adaptations cinématographiques qui trahiraient un peu l’esprit du roman. Stanislas Lem aurait d’ailleurs critiqué cette adaptation à l'époque. Dans ce cas, Soderbergh (auteur qui pourtant en début de carrière a sorti de bons films comme Kafka (1991), qui mêle la vie de Kafka et avec ses romans ou Sexe mensonges et videos en 1989) aurait ainsi pu proposer un successeur recentrant le film sur l’aspect science fiction du roman. Il n’en est rien. En fait, il a bien plutôt aseptiser le film de Tarkovski pour le rendre plus accessible au grand public d’aujourd’hui, avec de l’émotion bon marché, le film de Tarkovski étant surement trop froid, trop existentiel, trop torturé, en somme pas assez cool pour notre époque superficielle. Ainsi Soderberg confiera le rôle principal à George Clooney dans son époque très médiatisée et proposera une scène totalement dénuée d’intérêt où on voit les fesses de George à l’air pendant quelques minutes. On sent également dans le film américain d’autres choses bizarres comme les quotas : ainsi l’un des savants polonais du roman se transforme en femme noire. L’autre scientifique ressemble lui plus à un étudiant en science cool d’aujourd’hui qu’à un savant rigoureux devenu fou par ses recherches…
Venons-en au scenario de base. Kelvin est un psychologue envoyé sur la station spatiale Solaris suite à un message alarmant d’un des trois scientifiques vivant à bord de la station pour étudier sans aboutir depuis des années un mystérieux océan qui semble intelligent mais qui ne communique pas. A son arrivée, Kelvin découvre que son ami s’est suicidé. Les deux scientifiques restant semblent avoir de sérieux troubles psychologiques et cacher quelque chose. Lors de la nuit, Kelvin se réveille avec à ses cotés Harvey, son ancienne femme décédée des années auparavant après s’être suicidée. Après avoir tenté de la détruire une première fois, celle-ci revient et semble se régénérer. Ces visiteurs (ces personnages sont désignés comme tels) sont générés en fait par l’océan à partir de la mauvaise conscience des occupants de la station suite à une expérience menée sur l’océan. Kelvin est très troublé par cette copie de Harvey, elle-même est torturée par le souvenir de celle qu’elle représente.
Tarkovski a axé son film sur le rapport de Kelvin à son passé et sur une Harvey très tourmentée. On se retrouve à un moment un peu dans la tête de Harvey avec ses souvenirs et ses délires, qui mélange à la fois le temps et les personnages. On notera concernant Harvey, qui ne sait qui elle est, une scène oppressante qui peut paraître longue où elle contemple le tableau de Bruegel Chasseur dans la neige (1565). En fait, il y a dans Solaris de longues scènes sans action et sans dialogue mais très chargées d’atmosphères où l’on sent le malaise et le trouble des personnages. A l’inverse, dans la version de 2002, il n’y a pas de silence, beaucoup de blabla sur la relation amoureuse passée avec Harvey, un peu poétique toutefois puisque la rencontre tourne autour d’un poème dont il est à plusieurs fois question. Cette scène du tableau ne serait d'ailleurs pas dans le roman, mais elle montre bien tout l’aspect existentiel sur lequel a insisté Tarkovski. Il y a d’autres scènes marquantes, comme au début du film, un long trajet en voiture avec une atmosphère oppressante. S’ajoute à cela l’excellente musique austère, étrange et aux accents funéraires de Edouard Artemiev, qui adapte pour l’occasion le "Prélude de choral en fa mineur" de Bach.
Cette démarche de Tarkovski pourrait évoquer l’adaptation au grand écran du roman de science-fiction Dune par David Lynch qui est un film lui aussi très existentiel ; on y trouve ainsi l’indélébile marque de Lynch. Et c’est pareil pour ce Solaris qui porte l’indélébile et géniale marque de Tarkovski dont les films sont toujours imprégnés à la fois de nostalgie et de questionnements métaphysique, et chargés d’une atmosphère lourde qui laisse une sensation étrange et interpellante.
Adnauseam