IN SLAUGHTER NATIVES / KARJALAN SISSIT/ WAPPENBUND / ICK vs PPF
FESTIVAL SONORITES OBSCURES II
Rail Theatre, Lyon, 09/10/2004
Ce festival organisé par la jeune association de la nouvelle scène industrielle, Sonorités Obscures, apparaissait depuis quelques mois comme un des événements majeurs de la scène "dark" toutes tendances confondues. En effet, la tête d'affiche In Slaughter Natives est un groupe culte depuis sa création en 1988, probablement d'ailleurs la meilleure formation d'industriel symphonique, et surtout précurseur de toute cette mouvance. D'autre part, il est très rare de pouvoir assister à des prestations de groupes de Cold Meat Industry qui ne font en général l'honneur de leur apparition que lors de festivals ponctuels. De plus, voir des groupes de ce style et de cette qualité, c'est plutôt rare dans la région, sauf en Suisse avec l'excellente association Soleil Noir, plutôt discrète ces derniers temps, bien que Dj Antz ait été invité pour l'événement.
La première prestation regroupe ICK (site officiel) et PPF (site officiel), deux groupes d'industriels français pour une première collaboration live intitulée "Live Part 1 - Drame Politico-Psychiatrique". La prestation est avant tout celle de ICK, aidé par PPF. On retrouve d'ailleurs sur la fin des titres beaucoup plus orientés électronique, pas toujours du plus bel effet. Les premiers morceaux sont plus dans la lignée indus de PPF, qui a d'ailleurs sorti entre autres un cd intitulé La belle France, 1900 sur le label italien culte Eibon records. D'emblée, cette prestation a attiré mon attention. En fait, le premier morceau est un morceau dans lequel on peut entendre "France de merde", supporté par une image probablement d'émeutes populaires des années 70 avec le même slogan. PPF semble en fait jouer sur une ambiguïté politique. Déjà, PPF c'est aussi le nom d'un parti révolutionnaire et national: le Parti Populaire Français, mais en fait ici il signifierait Propagande Par le Fait…Ensuite, cette expression "France de Merde" pose question: alors attitude réactionnaire, devant une France qui devient merdique au regard de la situation actuelle ou plutôt slogan d'anarchistes de gauche très classique? L'ambiguïté est totale puisque La belle France était justement un concept sur l'anarchiste Georges Darien (1862-1921), sorte d'anarchiste individualiste dont précise le livret "D'ordinaire, il n'était même pas misanthrope, il s'en foutait". L'ambiguïté de leur concept sur scène m'a interpellé. Pourtant certains pensaient qu'il s'agirait plutôt d'une attitude de nihilistes qui crachent sur tout, avec une tendance vers l'anarchisme gauchiste. Il y a une évidence dans leur concept, c'est l'anti-capitalisme; il existe cependant aussi des révolutionnaires à la fois anticapitalistes et nationalistes bien-sûr, ou même, on peut être anti-capitaliste sans tomber dans cette caricature à la fois vide, inutile et surtout non lucide que propose l'extrême-gauche. D'autres y ont également vu un certain relent pétainiste d'ailleurs, donc au final, aucune unanimité sur ce groupe apparemment, effet flou peut-être souhaité…La suite de la prestation visuelle est tout aussi intéressante: le slogan "suicide automatique, un suicide toute les secondes" donne beaucoup à penser également; on y voit des images de médicaments, et la statistique d'un suicide par seconde est tout simplement le constat évident d'une société malade où les individus ne pensent qu'à se distraire, une société de loisirs d'individus-masse qui aiment s'amuser, ou l'on fait le culte d'un rire stupide, ou l'on fait l'apologie des amusements, des divertissements, des occupations futiles mais qui en toile de fond recèle un taux de suicide très élevé (un suicide par seconde!) ou les individus ne recherchent du bonheur que par procuration et où "cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit" (Baudelaire)…les faits parlent d'eux-mêmes (propagande par le fait donc…)…la société est malade et les individus vivent par substituts, ces divertissements ne sont que des soins palliatifs. Bref, un concept vraiment intéressant et qui peut donner cours à des interprétations multiples. En tout cas l'aspect populaire est bien marqué; d'ailleurs, à plusieurs reprises, des tracts sont lancés dans le public (tracts en relation avec les morceaux)…donc un concept très intéressant. Par-contre, le visuel même des membres est à revoir: des diapos excellentes en effet, mais deux chanteurs mettant simplement en route leur machine et bougeant de manière assez urbaine. De même, la musique du début était du bon dark indus/ ambient répétitif avec des voix de slogans au début pour aller dans des contrées plus electro-expérimental bien moins intéressantes… En tout cas franchement intéressant quant à l'imagerie et au concept!
Ce sont ensuite les Prussiens de WAPPENBUND qui prennent le relais dans un registre complètement différent puisqu'il s'agit ici de dark folk atmosphérique. Le groupe arrive sur scène sur une musique sombre et ambiante très typée Regard Extrême/ Les Joyaux de la princesse, avec yeux bandés et poses solennelles sur une musique lente. Dès le deuxième morceau, les yeux sont dévoilés pour poursuivre dans un registre oscillant entre dark folk et dark atmosphérique martial. Je ne connaissais pas ce groupe dont les albums sont particulièrement difficiles à trouver puisque sortis sur un petit label, mais la musique est vraiment excellente. Pour la décrire: un chant assez typé Goethes Erben, donc narration et émotion, sur une musique soit à la Regard Extrême soit plus dark folk, rythmée par un percussionniste très dynamique et au visuel très jeunesse des mouvements Volkish des années 30. Nos trois musiciens savent varier les morceaux: ainsi des petites percussions à la Death In June, ou encore quelques morceaux à la cornemuse par un musicien au physique assez écossais d'ailleurs, qui sait également produire des sonorités intéressantes avec une guitare traitée par machine lorsqu'il n'est pas au synthé…Une très bonne prestation dynamique, efficace et émotionnelle qui a su trouver de nombreux adeptes dans le public…On notera en projection de fond, le film "Freaks", vieux film qui nous montre des êtres dégénérés, probablement une métaphore ou une anticipation qui tend à nous faire prendre conscience de la décadence européenne contre laquelle s'insurge tous ces groupes.
Video par Sonorités Obscures
Ce sont ensuite les finlandais KARJALAN SISSIT qui vont prendre le relais. Cette formation est issue de Cold Meat Industry et comme la plupart de ses groupes, il s'agit de musique de grande qualité, en l'occurrence de dark industriel symphonique entre Puissance, Sophia et In Slaughter Natives. Karjalan Sissit avait sorti son deuxième cd Miserere chez Cold Meat Industry, mais actuellement il a quitté ce label pour sortir un troisième album chez Cyclic Law. Le duo, équipé de pc et de synthés, investit alors la scène projetant au fond un film évoquant la Finlande du début du siècle, voire fin 19ème et nous présentant l'ordre de la vie quotidienne. Depuis les débuts du projet, Karjalan Sissit propose en effet un concept sur la guerre entre la Finlande et la Russie dans laquelle est mort le grand-père du leader. En fait, c'est bien avant tout sur la projection video, que repose une représentation de Karjalan Sissit, puisque d'une part la musique est programmée et d'autre part, le leader se contentait de tapoter de manière assez simplette sur son synthé pour produire les orchestrations grandioses de sa musique. Il y avait également un décalage entre cette musique grandiose et symphonique et le chanteur qui évoquait un peu un junkie, avec son perfecto, son bonnet mais surtout sa bouteille d'alcool et sa cigarette…en décalage total avec sa musique et avec le deuxième membre très propre sur lui, cravate et petit veston… Peut-être que cette attitude décalée du chanteur est à saisir comme une mise en évidence de l'impossibilité de grandeur de notre époque, en pointant d'une part l'inaccessibilité à cette grandeur, mais surtout la nostalgie de cette époque perdue (à jamais?). Chanteur d'ailleurs, oui, puisque c'est la nouveauté du dernier album, Karjalasta kajahtaa, il y a désormais des morceaux industriels assez violents avec une voix scandée et criée, reproduits donc sur scène avec entre autres "Sika Seta" par un chanteur junkie. C'est peut-être justement le fait que le spectacle repose sur un film projeté et sur une musique programmée qui produit un ennui du leader condamné à boire et fumer sur scène… puisque le spectacle ne tient pas dans la performance visuelle des membres mais dans un spectacle qui consiste dans une atmosphère concrétisée par un film (à la Arte). A voir les photos sur le site du groupe du concert sur leur terre natale, le chanteur arborait pourtant un visuel plus martial. Donc au final, une petite déception quant à la prestation visuelle gâchée un peu par cette attitude du chanteur. Mais la prestation était toutefois excellente, et magistrale, avec entre autres d'excellents morceaux comme "Pig society" ou "Haarschnitt" (de Miserere) ou le morceau martial militariste "Kunnia Vsanmaa" 'de (Karjalasta kajahtaa) et se termina sur le morceau dark atmospheric "Soon Stroke Strikes".
IN SLAUGHTER NATIVES va donc clôturer ce festival en beauté. La première chose frappante, c'est la permanence du chant de Havukainen. Pour ma part, cela ne m'a pas surpris puisque j'ai pu écouté un enregistrement de leur prestation au festival Cold Meat Industry à Athènes il y a quelques années. Ici, on reprend le même concept, à savoir une musique programmée avec une projection visuelle. Cependant la prestation de Havukainen est beaucoup plus physique puisque chantant en permanence, aidé pour les programmations et synthés par le leader de Ordo Equilibrio très sérieux d'ailleurs (malgré un branchement grésillant à un moment). Les projections visuelles sont vraiment d'une richesse incroyable et suppose vraiment un travail conséquent: elles évoquent à la fois le mysticisme, la religion, l'horreur, le morbide; mais il me semble que le visuel est plus orienté vers le style "fantastique" au sens noble du terme évidemment, loin donc de la version pour adolescents ou grand public, orientation déjà ouverte depuis l'album Sacrosanct's bleed. La deuxième surprise, c'est l'exécution inattendue principalement de nouveaux titres d'un nouvel album qui doit sortir sous peu… un nouvel album qui s'annonce à la croisée entre le fameux Sacrosanct's bleed (le plus connu mais pas le meilleur) et l'excellent dernier cd officiel Purgate my stain pour une musique toujours aussi unique de dark industriel symphonique, extrêmement riche et qui comme pour Purgate my stain inclut des vocaux, une musique orchestrale grandiloquente et sombre (quoique moins froide et austère que les deux premiers, mais qui évoque peut-être plus les images fantastiques). Une prestation excellente, par-contre très peu de vieux titres cultes ont été joués; on notera le très culte "Death, just only death" du tout premier cd éponyme de 1989! Mais des titres cultes absents comme "Structure" (qui existe en deux versions) manquaient tout de même.
Ces excellents groupes proposent ainsi sur scène une prestation visuelle reposant avant tout sur les projections videos, la musique étant avant tout programmée et informatisée, le spectacle est donc déplacé des groupes (ISN fumait aussi des cigarettes par moment…) vers les très bonnes projections vidéos qui illustrent leur musique. En tout cas, un festival excellent…on attend la prochaine édition avec impatience!
Adnauseam
Video par Redlightdishes: