17/10/2009
Lausanne (Suisse)
par Adnauseam
Sunn O))), voilà un nom qu’on entend circuler depuis quelques temps dans l’underground puisqu’il apporte un vent de créativité en rendant flou les frontières entre les styles. J’avais, je dois bien l’avouer, honteusement râté le groupe lors de leur passage en 2006 à l’Usine de Genève, ne connaissant pas encore le groupe, et vu la description faite, j’avais pensé que l’étiquette doom était usurpée… Et pourtant, si Sunn O))) est bien en marge de la scène doom/death traditionnelle, voilà un groupe qui a donné un nouveau sens au doom et qui apporte une nouvelle force et aura à la musique sombre, en ouvrant de nouvelles portes. Difficile de définir Sunn O))), le groupe est à la frontière de bien des genres, doom/drone, black pour l’esprit originel et malsain, ambient, noise, psychédélique diront certains…
On sent un renouveau du doom par des variantes étrangères au traditionnel doom/death qui a tenu le haut de la scène pendant des années. Et me voilà à enchaîner plusieurs concerts de ce renouveau du doom, d’abord en aout avec l’excellent concert de Electric Wizard qui ont proposé une excellente performance, puis voici venir Sunn O))) et 15 jours après je devais voir les excellents Monarch à Lyon avec leur extrême doom sludge avec chant féminin hurlé. Sunn O))) n’étant pas un groupe classique, à l’instar, dans un autre registre, des groupes de la mouvance dark ambient/post industrielle, ses apparitions se veulent exceptionnelles. Sunn O))) a par exemple déjà joués dans des cathédrales, ce qui colle à merveille à l’aspect solennel et méditatif de leur musique. Cette fois-ci les voici intégrés dans un véritable festival mêlant cinema et musiques underground, le LUFF festival qui se déroulait du 14 au 18 octobre, et qui proposait en marge des projections de films, des soirées musicales comme cette « solid black night » réunissant Sunn O))) en ouverture puis Scorn (projet dark electro-dub réputé, par un ex-Napalm Death qui a débuté chez Earache puis est passé sur le label Hymen, présenté par le LUFF comme "Le parrain de tout ce qui est lourd et sale dans la scène électronique anglaise") ainsi que les projets Jamie Vex’d et King Cannibal avec la volonté de réunir doom et « dubstep » dont Scorn est vu comme le fondateur, une version doom de la musique electro underground ?
Until the Light Takes us
En guise d’introduction à cette soirée, on pourrait parler de la projection l’après-midi du documentaire « Until the light takes us » un documentaire sur le black metal que Stephen O’Malley, pilier de Sunn O))) proposait au festival, sorte de Lords of Chaos visuel retraçant l’histoire des premières années du black metal avec des protagonistes comme Fenriz, Varg Vikernes, Gorgoroth, ou Garm d’Ulver et qui se termine par une surprenante exposition en Suède des premières photos des groupes de black metal nordique à laquelle se rend Fenriz… car il semblerait que désormais, et ce n’est pas un mal, le black metal des premières heures soit reconnu comme un courant artistique. Il est certain que des artistes comme Garm ou Stephen O Malley donnent une image très crédible de la musique extrême à l’extérieur mais cette présentation dans une gallerie est probablement trop aseptisée...
Sunn O))) et Attila Csihar
D’ailleurs l’événement s’annonçait de taille puisque le duo initial de Sunn O))), Greg Andersson et Stephen o Malley impliqués tous deux dans bon nombre de projets qu’ils soient commun ou chacun de leur côté, étaient accompagnés de Attila Csihar, le « mythique » chanteur de De Mysteriis Dom Sathanas, resté un homme mystérieux pendant longtemps, faisant quelques apparitions par ci par là, avant son rappel par Mayhem en 2003 qui a un peu entamé le mythe… Attila assure en fait les voix sur l’album Monoliths and Dimensions sorti en mai 2009 dont la date de ce soir était la première de la tournée européenne. Mais cette collaboration révélée au grand jour avec les deux hommes ne datent pas d’aujourd’hui, puisque Attila apparaît déjà sur certains enregistrements live ou limité depuis 2007, la collaboration n’a donc fait que se renforcer, d’autant que Attila a en fait collaboré plus d’une fois avec Greg et Stephen, à chaque fois pour un résultat de qualité, toujours limité et plutôt confidentiel. Ainsi plusieurs entités sont nés liant les 3 hommes : Burial Chamber Trio avec Greg et Attila, en 2007, Gravetemple avec Attila et Stephen avec un album en 2007 et un live en 2009, ou encore le très bon Pentemple, rajoutant le leader de Striborg à la bande dans le cadre d’un live improvisé en juin 1998… des collaborations donc sous des noms différentes et limitées avec la recherche donc de la créativité.
Le lien entre le black metal sombre et Sunn O))) crée en 1998 n’est pas nouveau puisque Malefic de Xasthur est lui aussi apparu dans Sunn O))) (la fameuse photo en blanc de xasthur avec des musiciens c’est une sesson avec sunn o) sur l’album Black One en 2005 faisant notamment une surpenante reprise "Báthory Erzsébet" du "a fine day to die" de Bathory… Et puis les deux hommes se sont distingués dès le début par leur créativité puisqu’en 1995, ils avaient le projet Thorr’s hammer, un groupe de doom avec un chant black féminin réalisé par une norvégienne alors agée de 17 ans (à l’époque seul cadaveria). Le réputé label Southern Lord est également l’un des projets des deux hommes.
Une performance artistique
Vu le parcours des deux protagonistes, on était en droit de s’attendre à une performance mémorable et différente des concerts habituels en dark metal, et on peut dire que cette attente a été comblée. Le début du concert est marquée par une brume qui se répand puis par de longs chants d’inspiration tibétaine, jusqu’à une dizaine de minute, nous plongeant donc dans une atmosphère particulière… Trois musiciens arrivent alors sur scène, le troisième homme aux synthés étant probablement Steve Moore (?). Les trois hommes portent chacun une aube noire, avec la capuchon baissé ne permettant pas de distinguer leur visage tels des moines en méditation, et chacun joue de façon solennelle, par des gestes au ralenti, appuyés et répétitifs.
On ressent les vibrations, maximales en concert, qui avec le visuel prennent une certaine force méditative et sacrée. Puis, au bout d’un bon quart d’heure (difficile d’évaluer, les morceaux étant répétitif, évolutif et méditatif) Attila Csihar arrive sur scène là aussi surmonté d’une aube avec capuche baissée lui cachant le visage. Attila est à l’évidence bien plus inspiré que dans Mayhem avec ses déguisements plus ou moins excentrique, plus de sobriété ici, et beaucoup plus de solennel, autant dire qu’il était impressionnant. Cette manière d’apparaître sur scène tranche nettement avec le look du black metal où l’objectif est de jouer en pleine lumière, de s’exhiber, de se mettre en valeur, avec un certain look tape à l’œil pour se valoriser, à l’inverse donc de la démarche de Sunn O))) et de l’anonymat de ses protagonistes. La prestation vocale de Attila est en elle-même impressionnante. Très différent de son chant black metal, on retrouve le côté dérangé et malsain qui avait fait sa réputation mais dans un registre très différent., quelque chose d'assez rituel On sent une inspiration d’une artiste comme Diamanda Galas, dans le côté extrême et malsain des voix ainsi que des capacités incontestables.
Puis, au fur et à mesure du show, Attila devient le personnage central, et il revient avec un accoutrement étrange qui casse un peu l’aura solennelle de la première partie par son excentricité mais extrêmement bizarre : vêtu d’une cape avec d’énormes morceaux de verre dessus, une sorte de substance gluante sur le visage, une couronne avec des rayons lumineux. Je ne serais dire comment il faut l’interpréter, mais même si c’est peut-être un peu poussé, et qui fait un peu personnage de science fiction, mais il faut reconnaître que l’ensemble provoque quelque chose de malsain et l’atmosphère étrange et malsaine est maintenue.
Le show se déroule de façon hypnotique, étrange et prenante du début à la fin. A la fin du show, les quatre protagonistes retirent masques et capuches et s’inclinent face à un public qui a conscience de ne pas avoir assisté à un simple concert divertissant mais à de l’art... Les performances vocales n'ont d'ailleurs pas manqué d'attirer l'attention des journalistes et on sent Attila très content de cet intérêt et de cette reconnaissance artistique, à juste titre!
Interviews de Stephen O'Malley et Attila Csihar pour le LUFF
Videos du concert par Mojuvideo: