25/04/2011
L’Usine, Genève
par Adnauseam
La présence de Voivod dans un webzine thématique comme Nausea consacré aux musiques sombres pourrait surprendre. Voivod fait partie de ces groupes dont la contribution à l’histoire de la musique, particulièrement du metal extrême, est incontestable (même s'il faut bien l’avouer, on ne sent pas de lien avec la vague récente de black metal venant du Quebec avec des groupes excellents comme Csjethe et Forteresse). C'est le genre de groupe qu'on se doit de voir une fois dans sa vie, d’autant que les passages du groupe à proximité ne sont pas fréquents.
J’avoue cependant avoir hésité à m’y rendre puisque je n'avais pas suivi la carrière de Voivod depuis un bon moment, ni écouté leurs dernières sorties ni même réécouté les anciens albums. Et si je me rappelais bien mal des morceaux (une "révision" s’est imposée avant), je gardais toutefois nettement l’image d’un groupe à la personnalité incontestable tant musicalement que conceptuellement. Evidemment quand on va voir un vieux groupe culte comme Voivod, on y va rarement pour écouter le dernier album, en l’occurrence Infini sorti en juin 2009, mais pour écouter les morceaux cultes qui ont jalonné leur carrière. La sortie imminente en mai d’un live intitulé Warriors of ice, enregistrement d’une prestation de décembre 2009, m’a permis de me faire une idée de ce que proposait actuellement Voivod et m’a convaincu par sa playlist que le passé serait bien honoré, malgré l’étiquette déconcertante de "heavy metal progressif" apposée par l’organisateur, là où celle de thrash metal culte s’imposait ! Et je n’ai pas été déçu. Etonnement la salle n’était qu’à peine remplie à moitié pour un groupe dont le passage est loin d’être fréquent. Bizarrement, la promotion de cette date a dû être mal faite par PTR, puisque en ce qui me concerne j’ai découvert ce concert quatre jours avant, par la newsletter de l’Usine…
Grim Shunk
Mais avant Voivod intervenaient deux groupes: Mandroid Of Krypton un jeune groupe local de vétérans dans lequel on retrouve un ancien ingénieur du son de l’Usine puis un groupe venu du Quebec du nom de Grim Skunk accompagnant Voivod en Europe. Le public a semblé réceptif, allant pour certains jusqu'à aller remercier chaleureusement le groupe après leur prestation. Pour ma part, c’est exactement le groupe de metal qui ne me parle pas et ne m’a jamais parlé : groupe tendance thrash festif / délire / cool (effet peut-être renforcé par l’accent bien marqué du chanteur et les "footing" du guitariste). On peut éventuellement faire un parallèle avec un vieux groupe de la vague thrash comme DRI, le "mosh metal", mais en moins thrash justement et en plus fusion... Le groupe a toutefois quelque touches d’originalité comme cet orgue de barbarie permanent, assuré par le chanteur, mais il semble plutôt axé sur le délire ou alors sur l’engagement facile à deux balles avec une chanson "contre le racisme"…
Voivod, pilier du metal extrême
Arrive enfin les membres de Voivod pendant une intro au synthé (effet années 2010) et sous les acclamations, avec à nouveau un humour peut-être québécois (?), le chanteur mimant une entrée discrète sur la pointe des pieds et sa surprise… Le show s’est révélé efficace et l’atmosphère conviviale sans pour autant casser l’atmosphère des morceaux.
Voivod fait partie de ces groupes nés au début des années 80 et qui a l’époque ont repoussé les limites du metal, emboitant le pas à Celtic Frost en un sens, le groupe étant à ses débuts en tenue post-apocalyptique avec bottes, bracelets cloutés, cartouchières, masques à gaz mais développant son propre univers qui grosso modo tournera autour de la science fiction, notamment la guerre nucléaire aux débuts. Une partie du metal extrême aujourd’hui, notamment du black metal, doit beaucoup à cette époque où bien des choses étaient déjà faites (avant d’être glorieusement développées par la première vague de black metal au début des années 90); des groupes comme Sepultura et Sarcofago (autre combo brésilien des années 80) arborent en 1985 maquillage ténébreux, habillement en noir, cartouchières. A l’évidence ces premiers groupes sont parties de bien peu (Hellhammer / Celtic Frost étant précurseurs) pour bâtir leur univers et ont connu une époque que la nouvelle génération black metal bien arrogante ne connaitra jamais, et dont je n’ai connu que la fin il faut bien le dire (le début des années 90, mais assez tôt pour me pencher à l’époque sur les années 80) malgré la nostalgie "old school" répandue aujourd’hui. A titre d’anecdote, un black metalleux local (peu nombreux ce soir) surement découvreur n’a d’ailleurs pas manqué de féliciter le chanteur pour son t-shirt du groupe Possessed, mais il faut savoir que Voivod a tourné en 1986 avec Possessed pour la sortie du fameux Seven Churches. Les autres membres arboraient des t-shirts Down et Mötorhead ; les membres de Voivod commémorent ainsi leurs influences, leur époque et témoignent aussi de leur intérêt pour ce qui se fait aujourd’hui. L'impact de Voivod sur la scène actuelle reste palpable puisqu'un jeune groupe de black espagnol du nom de Korgüll the Exterminator a puisé son patronyme chez Voivod dans l’album Rrröööaaarrr, tout comme le fanzine black/doom/dark Thrashing Rage.
Voivod 2011
Le Voivod 2011 est le même que le Voivod de l’origine qui s’est désagrégé dès 1991, à l’exception de Piggy (les membres de Voivod avaient tous un pseudo au début) décédé en 2005 d’un cancer et qui sera resté dans Voivod de ses tout débuts à sa mort. Voivod 2011, c’est donc Away à la batterie, le seul membre qui a connu Voivod du début à aujourd’hui, Snake qui a réintégré le groupe au chant en 2002 après son remplacement entre 1994 et 2002 par Eric Forest (qui a fait E-Force depuis), Blacky qui est revenu en 2008, et Chewy à la guitare depuis 2008 et qui a officié dans des groupes comme Cryptopsy et Gorguts. Il faut reconnaître que Blacky est une figure emblématique de Voivod ; on comprend mieux que son poste ait pu être occupé par rien moins que Jason Newsted, ex-Metallica et ex-Flotsam and Jetsam (époque Domsday for the deceiver) entre 2002 et 2008. Blacky a ressorti pour son retour sa fameuse basse découpée telle des lames de scie. Là où Away est logiquement marqué par les cheveux blancs, Blacky fait étrangement encore très jeune, peut-être par sa fameuse coupe cheveux longs et mêche sur le côté. Il offrira sympathiquement à la fin son médiator à une demoiselle du premier rang.
Angel Rat
Le premier chamboulement de line-up est justement intervenu en 1991 avec le départ de Blacky peu après Angel Rat, un album qui a désappointé beaucoup de monde à sa sortie, le groupe quittant cette fois vraiment le thrash, pour quelque chose de progressif. Comme tout grand groupe, Voivod a eu différentes périodes au cours de sa carrière et de cette première ligne droite qui a conduit à la désagrégation du groupe puis à sa reconstitution. Voivod est parti d’un thrash froid et guerrier, puis a évolué progressivement vers un thrash expérimental et psychédélique puis avec Angel Rat, il modifie grandement son image. C’est aussi l’un des premiers groupes de metal à se revendiquer ouvertement de Pink Floyd. Aujourd’hui bon nombre de groupe de qualité le font avec succès comme Tiamat et Anathema, mais à l’époque c’était novateur et risqué surtout pour un groupe de thrash. Angel Rat est un album planant, avec des riffs hard rock et psychédélique parfois qui rompt nettement avec leur passé thrash malgré une évolution au fil des albums. Au début des années 90, après la mode thrash qui a vu émergé de nombreux groupes disparus, les piliers du thrash semblent vouloir se renouveler. On a un très bon exemple avec le Renewal de Kreator en 1991 qui reste à mon avis l’un de leur meilleur album. J’avoue que le cas de Angel Rat me laisse plus perplexe qui ne m’avait pas marqué mais qui comporte quelques bonnes choses… dont l’excellent et poétique "The Prow" , qui est à mon avis l’un des meilleurs morceaux de Voivod, et qui a été ce soir en guise de deuxième morceau. Sur le live sorti en 2000 aucun morceau de Angel Rat n’était au programme, et je trouve que la réintégration de ce morceau est un très bon choix, il prend d’ailleurs en live un aspect plus thrash.
Voivod et Pink Floyd
J’évoquais Pink Floyd comme influence revendiquée par Voivod. Le concert s’achève justement sur la longue reprise à la fois très personnelle et réussie du morceau "Astronomy domine" que Voivod a réalisé en 1989 sur l’album Nothingface pour laquelle un clip avait été réalisé. Ce morceau sera l’occasion d’un hommage à Piggy, Snake faisant scandé le nom de Piggy par le public, ainsi qu’un hommage au public, Snake filmant successivement le public, les membres du groupe puis lui -même avec en arrière-fond le public. A noter qu’une autre reprise de Pink Floyd a été réalisée en 1993 sur l’album The Outher Limits avec le morceau "The Nile Song".
Le thrash culte des années 80
Mais ce concert fût surtout l’occasion des morceaux cultes thrash de Voivod, le rappel rendant un glorieux hommage aux deux premiers albums War and Pain (1984) et Rrröööaaarrr en 1986 avec les morceaux "Voivod" et "Nuclear War" qui sont du thrash froid et guerrier, avec une atmosphère pas très éloignée des premiers Bathory, sans le côté diabolique mais le chaos en plus. Snake annoncera d’ailleurs le morceau "Voivod" en décrivant l’atmosphère ("Il fait un froid glacial…"), et mimera le début de "Nuclear War" en prenant une pose militaire.
Les autres albums sont plus expérimentaux mais comportent chacun leur lot de hits. Seront ainsi joués entre autres ce soir l’excellent et bien thrash "Tornado" et "Overreaction" de Killing technology (1987), "Tribal convictions" avec son côté justement très tribal (pour lequel un clip a été réalisé à l’époque) de l’album Dimension Hatröss (1988) ou encore "The unknows knows" qui a ouvert le concert "Nothingface" de Nothingface sorti en 1989 qui témoigne d’un thrash déjà très Floydien.
Bien-sur quelques morceaux actuels faisaient partie de la soirée : deux titres de l’album Infini sorti en 2009 sur Nuclear Blast tout de même (comem quoi l'impact du groupe dans le metal est bien réel). Et puis le concert sera également l’occasion d’un inédit, le groupe étant en pleine composition du prochain album. Enfin, ont été joués deux titres de la période avec Eric Forest au chant, période dont il ne reste que Away, où Voivod est revenu au thrash, à tendance thrash indus.
Un très bon concert d’un groupe culte dans une ambiance conviviale mais efficace. Un hommage personnel et inspiré aux années thrash bien loin des nombreux stéréotypes et clichés qui gangrènent la scène aujourd’hui !
http://www.myspace.com/voivodband