EISIGWALD
"The Mystery Of The First Blizzard"
Black metal froid et haineux
Russie
Osolon, 2004
Je me suis toujours interrogé sur l’intérêt que certains pouvaient trouver à des groupes de black metal locaux sans personnalité et de dixième zone. La réponse semble se trouver dans cette tendance moderne au narcissisme, à l’identification par tribus, qui fait qu’on se plait d’imaginer que le groupe du voisin a inventé le black metal, la problématique étant de se faire intégrer et reconnaitre comme membre par la tribu face aux autres tribus qui de toute façon s'y connaissent encore moins. Triste constat, la scène black metal est gangrenée par les attitudes et aspirations de la masse : comportement moutonnier, narcissisme, exhibitionnisme.
Mais finalement cette situation n’est pas forcément déplaisante si on conçoit que la qualité reste pour une élite et que la daube reste pour la masse. Eisigwald est probablement inconnu de bon nombre d’adeptes se réclamant de la scène black metal qui n’en entendront jamais parler et ne chercheront pas à le connaître.
Depuis les débuts de ma découverte du black metal en 1993, j’ai toujours cherché à débusquer de petits groupes underground à personnalité (donc pas l’underground au mauvais sens du terme : le non connu non pas par choix et hermétisme mais par manque d’inspiration et de créativité), convaincu qu’ils ne se trouvaient déjà pas dans le village à côté, d’autant qu’en France, les gens sont bien intoxiqués par la bêtise ambiante et il ne suffit pas pour s’en extraire d’écouter du black metal, devenu un style à la mode, et de s’acheter une personnalité de substitut par un t-shirt Darkthrone ou Burzum.
La Russie, et d’une façon plus générale l’ex-URSS, est un terreux fertile et propice pour le black metal quand on connaît l’histoire particulière et la vie difficile de ce peuple, sa culture littéraire ou encore le climat de cette vaste étendue. Indépendamment de son origine, c’est bien surtout la force qui en émane qui compte, et il faut bien reconnaître qu’à part de rares exceptions, on ne trouve que rarement cette force émanant de ces centaines de groupes de black français qui émergent chaque mois…
J’ai découvert Eisigwald par hasard en faisant des recherches sur Northstream, un groupe de black mélancolique bien loin de l'aspect dépressif post-ado très répandu désormais, bien plutôt chargé d’une mélancolie froide qui émane une certaine force. Difficile de trouver des infos sur Northstream qui n’a plus rien ressorti depuis 2004 après leur sublime ep Time of triumphal cleanliness dont on entend rarement parlé. Seul un Myspace discret à l’abandon, avec très peu d’amis, nous éclaire sur cet obscure projet né en 2002 : le projet Northstream est né par la volonté de dépeindre la beauté de la nature native, la souffrance face à la destinée de la nation russe et l’espoir de son revival. Cette musique mélancolique exprime bien, notamment par la force qu’on y sent, ce sentiment du tragique, cette force de l’âme, collective ou non n’est pas la question, qui se dissocie nettement dans le rendu du petit mal être post-ado. Northstream n’a sorti que ce fameux mini-cd 6 tires, Time of triumphal cleanliness, sur le label suédois Total Holocaust, et juste avant, une demo inaudible en 2002 intitulée Black light of the winter. On trouve également un morceau inédit sur leur page Myspace sans aucune indication sur le devenir du projet.
Encore moins d’informations ne sont disponibles sur Eisigwald. Les seules se trouvent sur l’incontournable Metal Archives. Quant à obtenir cette production sortie uniquement en cassette en 2004 sur un label inconnu (qui propose d’autres productions de Russie et d’Ukraine au format tape), c’est quasiment impossible, y compris sous forme digitale sur le net. Une édition limitée en CD serait la bienvenue puisqu’il s’agit là d’un véritable album et non d’une simple demo. Eisigwald semble être la suite de Northstream même si rien d’officiel ne l’indique. On y retrouve ses deux membres d’origine, Thorn et Skald, associé à un troisième membre, Boreas Meru, qui s’occupe du chant, et qui aurait été guest vocals dans Northstream (mais pas dans le ep puisque rien ne l’indique dans le livret du cd). La première production de Eisigwald surgit ainsi en 2004, l’année de la dernière production de Northstream.
Cette première réalisation est le prolongement évident de Northstream. Eisigwald porte d’ailleurs un patronyme approprié, étonnement allemand, qui signifie "forêt glaciale" et qui dépeint parfaitement cette atmosphère qu’on trouvait déjà dans Northstream. C’est d’ailleurs une thématique très présente dans cette première production, ne serait-ce que par son titre The mystery of the first blizzard, ou dans les titres des morceaux "The winter arrives again" et "With the sounds of glacial winds chants". Une thémathique certes banale dans le black metal mais fortement appréciable quand la musique lui fait réellement honneur. Eisigwald possède cet aspect lancinant, tranchant et glacial que possédait Northstream, mais en plus agressif, et ressemble aux morceaux les plus percutants de Northstream. Il s’en dégage une atmosphère bien plus haineuse, là ou certains morceaux de Northstream exprimaient parfaitement la déréliction. On retrouve toutefois cet aspect dans le morceau "Into the battlefield". Le chant de Boreas Meru est d’ailleurs bien plus agressif. Sur Time of triumphal cleanliness, le chant était saturé et glacial, on y sentait une inspiration du Filosofem de Burzum, ce que je préférais, alors qu’ici c’est un chant clairement mis en avant, peut-être même trop, mais très haineux et puissant (on n'a donc pas l’impression que le chanteur s’égosille et fait une voix à la Donald Duck), un peu à la Capricornus (projet du batteur originel de Graveland). Les textes (présents sur Metal Archives) collent très bien à la présentation que Northstream fait de sa musique avec cette nostalgie et cette aspiration à un retour vers un monde ancien idéalisé qui doit engloutir ce monde moderne sombre et sans âme.
Un split sortira ensuite en 2005 sur l’incontournable Stellar Winter, aux côtés de Morbus Mundi, qui n’est autre que le projet solo de Boreas Meru. La partie de Morbus Mundi n’y est pas vraiment intéressante, et la partie composée par Eisigwald, qui ouvre le split, est nettement moins intéressante que cette première réalisation. Eisigwald semble y être clairement plus orienté, ce qui explique qu’il soit présenté par Metal Archives (comme beaucoup de groupes de l’ex-URSS) comme NS. La musique s'y révèle bien moins intéressante, et tranche vraiment avec Northstream, développant l’aspect de Eisigwald non hérité de Northstream, évoquant bien plutot un morceau comme "Tremour of the skies", point faible de cette première réalisation. Cet aspect vient peut-être de Boreas Meru, impliqué à cette époque dans pas mal de groupe de black clairement NS. Leurs compatriotes de Forest, tout en s’orientant clairement et ne faisant plus dans la finesse, avaient pourtant réussi à produire un album vraiment très interessant et original. avec In the flame of glory. Je crois toutefois qu’il faut relativiser car la plupart des groupes russes ont cette étiquette NS, alors que les thémathiques abordées ne se réduisent aucunement à cet aspect. On sent clairement dans ces groupes une nostalgie d’un passé glorieux au final bien éloigné des problématiques germaniques, et se situant nettement en amont du 3ème Reich. Après la chute du communisme, qui avait coupé le peuple de son enracinement à son histoire et à la nation, beaucoup de groupes se sentent par réaction NS en se tournant nostalgiquement vers ce passé et ses racines reniées.
Quoiqu’il en soit cette première réalisation de 42 mn propose en 7 morceaux un black metal très froid et haineux, incontournable pour le peu de monde qui chercherait une suite à l’excellent ep de Northstream, et pour tout amateur de black metal sombre et authentique.
Adnauseam
http://www.metal-archives.com/band.php?id=47396
http://www.myspace.com/officialnorthstream
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