NACHTGEBLÜT
Strange Ways to Ancient Times
Black metal / Ambient néo-classique,
Argentine
Dark Hidden Productions, 2005
A la vue du patronyme, on pourrait légitimement penser qu'il s'agit là d'un projet allemand, du moins germanique. Cette impression pourrait être renforcée en feuilletant le livret où on note une dédicace à Arthur Shopenhauer et Nietzsche est également évoqué… Pourtant un élément pourrait invalider cela si l'on prend en compte que Nachbeblüt revendique son appartenance au Southern Elite Circle. Ce cercle qui se veut un écho des célèbres cercles originels du black metal comme le "Norvegian black metal circle" (autour de Darkthrone) ou le "Austrian black metal syndicate" (autour de Abigor) ou plus récemment le "Black Metal Invitta Armata" en Italie (autour de Spite Extreme Wing), ou le célèbre "Concilium" en France (autour de Seigneur Voland), regroupe en fait quelques groupes de la scène de … Buenos Aires en Argentine avec Furor, Ulfhethnar, Campo de Mayo et Argenraza, des projets dans lesquels on retrouve pour certains Eviigne, l'unique protagoniste de Nachtgeblut.
Il me faut bien reconnaître que la scène d'Amérique latine, très prolifique en metal extrême n'a toutefois jamais vraiment produit des groupes à l'identité marquée, mise à part Sepultura et Sarcofago, ni une scène avec un style spécifique.
Mon attention avait été attirée sur cet album quelques années avant d'y accéder puisque la magnifique pochette est exactement la même que celle de l'excellent mini-cd de MÖRKER (une simple inversion symétrique les distingue) sorti sur Northern Silence cette même année 2005. Lequel a repris l'idée à l'autre, on n'en sait trop rien, mais cette pochette de grande qualité est quoi qu'il en soit l'œuvre de Gustave Doré... Morker a peut-être été le premier, puisque le groupe à ses débuts en 2004 s'était lancé dans la continuité du tout premier album de Dimmu Borgir, For All Tid (1994), dont la pochette fait partie d'une même série par Gustave Doré. En même temps, la culture de Nachtgeblut semble consistante ; il n'aurait pas forcément eu besoin de l'intermédiaire de Dimmu Borgir ou d'un groupe lui rendant hommage pour accéder aux œuvres de Gustave Doré. La question reste ouverte, dans les deux cas c'est une pochette très évocatrice pour une musique émotionnelle très différente.
Cet album n'est pas en soi un chef d'œuvre mais il est intéressant par l'esprit qui le traverse et la démarche. Si bon nombre de groupes se proclament élitistes aujourd'hui, ils ne savent même pas en quoi ; cette attitude fait partie du folklore black, certains doivent simplement se dire qu'il suffit de se revendiquer de la communauté black metal pour en faire partie, autant dire que ce n'est pas dur, et qu'on voit mal en quoi une élite serait si nombreuse et avec un profil de plus en plus raté. Nachtgeblut nous rappelle que le black metal, tout comme les autres mouvances dark du metal, était un mouvement qui à son apparition n'était pas juste du metal extrême mais un courant en rupture avec les autres musiques notamment par sa charge culturelle. C'est carrément un éloge à la grande culture que nous fait Nachtgeblut, en l'axant évidemment sur des piliers reconnus du romantisme et du tragique en incluant art et citations, une démarche appréciable suivie également sur les autres albums, et en adossant cela à de nombreuses revendications comme les aiment le black metal : "true philosophes, true writers, true composers".
Au niveau du contenu musical, l'album se divise en deux parties totalement déséquilibrées tant par la durée que le style sur lesquelles planent l'ombre de... Bach !
La première partie (Book I) intitulée "The Four New Storms" est purement black metal et ne dure que 14 minutes. Le style est en revanche très appréciable car il se rapproche du troisième et excellent album "Nattens Madrigal" de Ulver sorti en 1997 : raw, scandé, saturé, frénétique tout en étant mélodique, avec un bruit de vent en fond. Le résultat est inspiré et efficace malgré une durée similaire à celle d'un EP. Le premier morceau "C-Moll Präludium" serait une transposition black metal du Prélude BWV847 de Bach.
La 2eme partie (Book II) intitulée "Hidden Ancient Works" n'a rien à voir avec cette première partie composée en 2005 et propose sans transition des compositions datant de 2001 à 2005 uniquement au synthé pour un total de 54 minutes réparties en 18 morceaux à la durée très courtes (2 minutes en moyenne, avec quelques titres de 6mn et un pic de 8mn). Cette deuxième partie se veut en fait un hommage musical à Bach, dont le portrait orne le livret et qui fait le lien entre les 2 parties. Si le génie de Nattens Madrigal est techniquement facile à copier, il n'en est pas de même en se confrontant aux grands compositeurs classiques, surtout en étant armé d'un synthé pour y produire des sonorités de piano, orgue ou clavecin. Faire de la musique classique au synthé est toujours périlleux ; Penitent s'y est risqué dans Maestro Beethoveen en 2000 en reprenant carrément du Beethoven tout au long de l'album. Le parallèle avec cet album est tout à fait faisable mais ici la démarche est moins ambitieuse : les concertos, sonates et fugues présentées ici ont été composés par Eviigne, notamment d'ailleurs une fugue inspirée par "The Outsider" de Lovecraft. Eviigne reconnaît toutefois qu'à la base il s'agissait d'exercices d'entrainement, et que n'ayant pas étudié la musique, il le fait intuitivement, et s'en excuse d'avance. La durée courte des morceaux est un avantage par rapport à Penitent qui tirait sur les longueurs, mais il faut reconnaitre que cette partie est en soi un peu longue et un peu minimaliste, et un peu vide niveau émotions, là où les productions en dark ambient ou dark atmospheric, qui en soi ne sont pas musicalement parlant techniques se trouvent en revanche riches et élaborées de part les effets et possibilités procurées par la technologie qui déploie les atmosphères. D'ailleurs, plutôt qu'essayer de jouer de façon allégée du classique, aujourd'hui il y a ce style neo-classique martial "bombastic", qui est une totale réussite niveau atmosphères.
Au demeurant, cette partie n'est pas désagréable et est intéressante mais cela aurait dû être beaucoup plus court pour ne pas perdre l'auditeur et l'unité de l'album. Eviigne aurait toutefois composé un deuxième album non publié dans la continuité de ce style en complément à cette partie avec de nouveaux morceaux et de nouvelles versions de morceaux présentés ici. En revanche, après un long silence, 2 albums purement black metal sont sortis en 2017 et 2021.
Adnauseam